19 mars 2012

Sur les traces de Pégase

AUJOURD'HUI

Je
Je me
Je me suis
Je me suis réveillé
Je me suis réveillé avec
Je me suis réveillé avec la
Je me suis réveillé avec la tête
Je me suis réveillé avec la tête loin
Je me suis réveillé avec la tête loin du
Je me suis réveillé avec la tête loin du corps
Je me suis réveillé avec la tête loin du corps d’elle
Je me suis réveillé avec la tête loin du corps
Je me suis réveillé avec la tête loin du
Je me suis réveillé avec la tête loin
Je me suis réveillé avec la tête
Je me suis réveillé avec la
Je me suis réveillé avec
Je me suis réveillé
Je me suis
Je me
Je


GRATITUDE

            d’après Oliverio Girondo

Merci le vent
Et la pluie,
Merci la neige,
La douceur,
Le sel.

Merci le jour,
Les étoiles
Et la mer.
Merci l’enfance
Et les éclairs.

Merci la rage
Et le vin,
Le tabac
Et les vers,
Les vers de terre.

Merci les fruits,
Bisous,
Les feuilles mortes
Et la musique.
Merci.

Merci la mort
Et le sommeil,
Les rêves,
La soif.
Merci la faim,
Le travail,
Les fêtes
Et les nuages
Qui passent et ne disent rien.
Merci.

Merci la solitude
Et les matins,
Les matins d’hiver.
Merci le verre
Et le crayon,
L’amour,
Le feu, le feu, le feu.

Merci,
Merci beaucoup
Les lasagnes
Et l’oubli,
La mémoire,
L’eau douce de l’été.
Merci.

Merci les oreilles,
Les yeux,
La langue et les lèvres et la parole.
Merci les mains,
Les pieds,
Le sexe chaud et mouillé.

Merci l’inconstance,
La fugacité,
Le silence,
Le désert,
L’absence d’un Dieu.

Merci les couleurs,
Les papillons
Et le miel.
Merci la ferveur,
La folie,
La peau.

Merci la souffrance,
L’horreur et la mort.
Merci.
Merci les mystères,
Les oiseaux.

Merci les pierres,
Le vent,
Les dictionnaires.
Merci.
Merci beaucoup.

Moi, l’ombre, je vous salue.

 
RIMBALDIENNE

   J’ai étendu mes pieds de boue à cristal, les mains d’enfer à paradis, mes yeux d’univers à univers, les oreilles de silence à silence, – et je danse?

 
ENVOI

    Pour le verre oublié dans un coin de la salle, le cendrier plein de déchets, coincé contre l’esprit,
    Pour les chansons niaises de l’enfance, et les feuilles mortes de toutes les saisons,
    Pour les cerises que je ne mange pas, les pas de l’ombre sur le trottoir un certain soir d’été,
    Pour la flamme du briquet ce soir gelé d’hiver,
    Pour les baleines,
    Pour les pingouins drôles des rêves, et les rêves drôles de tout âge,
    Pour mes nièces,
    leur mystère,
    les ombres du soleil de la nuit du sommeil,
    Pour la poussière d’un corps brûlé,
    Pour l’araignée, ses toiles,
    et pour les étoiles, les ailes tombées, les pierres et les cailloux, les gouttes
    de la pluie
    qui tombent
    du toit
    un certain jour de détresse,
    Pour les soirs et ce soir d’il y a trois ans, si clair,
    Pour le retour – toujours – après l’absence,
    Pour vous qui, de temps en temps, pensez à moi,
    la solitude,
    les nuages toujours,
    les métamorphoses,
    et les vagues qui partent, qui partent, qui s’en vont de nos regards,sans un mot
    et à jamais,
    Pour les marins,
    le vin,
    les hérissons de mon jardin,
    et les beaux matins de l’hiver,
    Pour la neige, celle que j’ai vue – fenêtre ouverte – une seule fois de ma vie,
    les amants,
    les amants de tous les siècles,
    et de chaque nuit,
    et Dylan Thomas,
    et ma soeur,
    et le Van Gogh d’Artaud,
    et le silence de Rimbaud,
    et les cris,
    Pour les femmes,
    Pour les nègres de toutes races couleurs et origines,
    et pour moi aussi,
    Pour Pina Bausch,
    Glauber Rocha
    et pour Ferré.

Dilamar P. Jahn

1 mars 2012

NOUS SURVIVRONS

Dans le premier numéro de notre revue, nous présentons Claudio Willer, barde brésilien qui se veut héritier des surréalistes et d’Allen Ginsberg. 

La place manquant pour publier dans notre « petite feuille France » toutes les traductions de poèmes de Claudio Willer dont nous disposions, nous voudrions faire profiter ici de trois pièces supplémentaires : :

 
LA PLAGE DANS L’ILE
 
c’est comme ça que j’aime : personne alentour
juste le matelas de sable doux
étalé entre les dunes
où les efforts pour marcher
transforment les pas en mouvements courbés
vers le chaudron
où se débat le cordage fumant
labyrinthe de convulsions
vide traversé de spasmes
nœud de tentacules d’écume, de courant polaire
et les mains de la glace
qui serrent la gorge et glissent sur le ventre
flammes de mer, crochets enfoncés dans le dos
pour nous traîner au fond
   pénétrer dans cet abîme
c’est naviguer sur le dos de la mort
transformer la conscience
en carrefour de tourbillons  –
mais, pourtant
nous ne sommes pas d’ici
nous venons de très loin
pour trouver la dernière plage déserte
sur la côte océanique de l’île
encerclée de murailles de vent et de clarté
où des couvertures d’embruns
s’étalent sur nos corps
doucement adossés
          sur la peau dorée du temps

(Traduction : Luciano Loprete)

 
JE M’APPROCHE
je traverse un filtre d’embruns
je recueille des ondes la symétrie de ce poème
des nuages se déchirent dans un dernier combat de couleurs
tandis que la mer
                            (rivière plus indomptable)
respire pesamment
en me dépassant
avec la lenteur solennelle des processions de barques 
                                                                [religieuses
déployant sa couverture de nuit
étouffant dans le fond les feux
allumés aux clairières où les noyés essayent de 
                                           [réchauffer leurs mains
la présence humaine est murmure et solitude
il ne reste que ces deux cargos
ombres découpées sur le lointain
deux bateaux          –               deux points
voix solitaires insignifiantes et nulles
plongeant dans le vide grisâtre
et ce voilier
tache agitée sur une carte de négations
glissant rapide vers son heure nocturne
l’humain recule une fois pour toutes
maintenant tout est distance et vide
mots et paysage se dissolvent
il ne reste plus que l’autre
tout ce que l’on n’est pas
tout ce qui nous paraît étrange
comme un texte
creux de mémoire vive
trame obscure des rendez-vous amoureux
le négatif de notre monde de coordonnées terrestres
avec son sourd murmure de sources innombrables 

(Traduction : Luciano Loprete)


VISITEURS 4

notre espace
                            est l’espace du terrible
le marécage
                   balayé par des vents tièdes
traversant le chant des roseaux
et la nuit définitive                      et le cri pétrifié
pénétrons lentement
dans ce jardin de refus
                                    où le mot cherche l’espace
il n’y a plus grand signe de vie
sur la face de cette planète
peut-être y a-t-il un lieu
où l’on entend encore le souffle du vent dans 
                                          [les arbres
des voix lointaines emplissant les vallées
des aboiements sur un versant perdu de 
                                          [montagne
devenons plante
racine
ou minerai brut
pour qu’il nous soit possible d’entretenir 
                                [des conversations

                                                                    NOUS SURVIVRONS

(Traduction : Rafael Lucas)